La 10ᵉ génération de la technologie LTO Ultrium vient d’être dévoilée par Fujifilm fin 2025. Cette nouvelle bande magnétique LTO-10 porte la capacité native à 40 To (soit ~100 To compressés). Elle est destinée aux besoins « big data » de l’ère IA et cloud, où des volumes exponentiels de données doivent être archivés à moindre coût et avec un minimum d’énergie. Les bandes magnétiques LTO restent pertinentes pour l’archivage froid et les workflows asynchrones : elles offrent une densité de stockage très élevée et une sécurité « air-gap » contre les cyberattaques. Dans ce contexte, LTO-10 introduit plusieurs innovations techniques (nouveau film Aramid, particules ferrite de strontium, etc.) pour augmenter encore la capacité sans changer de format physique.
Contexte et évolution des bandes LTO
Les générations antérieures d’Ultrium ont déjà multiplié les capacités par 2,5 à chaque version. LTO-8 (2017) proposait 12 To natifs (30 To compressés) et ~360 Mo/s. LTO-9 (2021) a porté la capacité natale à 18 To (45 To compressés) et un débit unitaire de 400 Mo/s. Jusqu’à LTO-9, les lecteurs étaient rétrocompatibles (lecture des deux précédentes générations, écriture sur la génération précédente). Avec LTO-10, Fujifilm et le consortium LTO abandonnent cette rétrocompatibilité : un lecteur LTO-10 lit/écrit uniquement LTO-10.

Storage Management in an Age of Minimal Data Deletion
LTO-10 introduit dès 2025 un format natif de 30 To (75 To comp.). La version finale annoncée en décembre 2025 atteint 40 To natifs (100 To compressés à 2,5:1). Cet accroissement de 33 % par rapport au 30 To précédent donne un gain de +122 % par rapport à LTO-9. La feuille de route LTO révisée prévoit même jusqu’à 913 To compressés pour la génération 14, signe que les capacités continueront d’augmenter pour satisfaire les besoins exascale.
Caractéristiques techniques du LTO-10
Les cartouches LTO-10 Fujifilm (40To) contiennent une bobine de ruban de 1337 mètres de long soit près de 30 % de plus que pour LTO-9 grâce à un nouveau film de base en Aramid plus fin et plus stable. Cette fine couche permet de loger 10 To supplémentaires dans le même boîtier standard. Le débit maximal reste de l’ordre de 400 Mo/s en natif (≈1 000 Mo/s compressé), identique à LTO-9. Chaque cartouche intègre également une puce mémoire LTO-CM (32 kB) pour les données d’index et de gestion.

Sur le plan du support magnétique, LTO-10 utilise un nouveau mélange de particules « hybrides » ferrite de baryum dopée au strontium. Selon Fujifilm, ces particules conjuguent les avancées de la ferrite de baryum et des ferrites au strontium (SrFe) pour augmenter la densité d’enregistrement. C’est la première utilisation de cette formulation « fine hybrid » (nanotechnologies SrFe+Barium Fe) dans LTO. Ce média offre ainsi une meilleure durabilité et une très faible erreur de bit : le taux d’erreur (BER) annoncé est de 1×10^19, et la longévité sans dégradation magnétique dépasse 50 ans.
En revanche, la compatibilité ascendante n’est pas assurée : LTO-10 ne peut ni écrire sur les générations antérieures ni en lire (0-compatibilité absolue). Il en résulte que toute organisation qui adopte LTO-10 devra migrer ses données ou conserver ses anciennes librairies distinctes. La nouvelle génération améliore également la plage de température de fonctionnement (jusqu’à 35 °C) et l’humidité tolérée, favorisant la stabilité dans divers environnements data center.
Un atout pour l’IA, le Cloud et le stockage froid
Dans le contexte actuel, les besoins de stockage dépassent largement l’exabyte. Fujifilm cite par exemple une estimation mondiale de 175 Zettaoctets de données générées en 2025 (IA, IoT, imagerie médicale…). Les bandes LTO-10 répondent à ces exigences en offrant un support offline, pérenne et économique. On l’avait déjà évoqué chez OVHCloud pour le stockage froid. Contrairement aux disques ou aux clouds « always on », une cartouche LTO n’utilise aucune électricité au repos, limitant fortement la consommation énergétique et l’empreinte carbone. Fujifilm évoque jusqu’à –95 % d’émissions CO₂ par rapport aux technologies HDD/cloud comparables, et Spectra Logic indique qu’une archive sur bande consomme environ 90 % moins d’énergie par pétaoctet qu’un stockage disque équivalent.
Cette faible consommation et ce TCO très bas font du stockage sur bande un choix logique pour l’archivage « froid ». En particulier, les fournisseurs cloud eux-mêmes réutilisent les concepts de tiers froid (par exemple AWS Glacier) pour proposer des archivers à coût réduit, mais ces services restent payants et publics. Réintégrer en interne du stockage sur bande permet de « rapatrier » des archives depuis le cloud, réduire les factures d’hébergement et conserver la souveraineté des données. De plus, la nature air-gap des bandes tape renforce la cybersécurité : les données archivées hors réseau ne peuvent pas être modifiées par des ransomware ou malwares en ligne. Comme le note HPE, les archives sur bande deviennent des « actifs stratégiques » pour la résilience des organisations, car elles offrent une redondance physique contre les cybermenaces.
Enfin, ces solutions ont un impact environnemental moindre, répondant aux enjeux de durabilité. La presse souligne par exemple que stocker sur bande, en remplaçant de la capacité sur disque ou cloud, libère des ressources énergétiques pour d’autres usages (IA, calcul scientifique, etc.).
Cas d’usage modernes
Dans les data centers actuels, LTO-10 trouve de nombreux cas d’usage concrets :
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Archivage de modèles IA et de données exascale. Les laboratoires de recherche, data centers dédiés à l’IA ou centres de calcul (HPC) génèrent et entraînent des modèles de plusieurs pétaoctets. Les points de contrôle (checkpoints) de réseaux neuronaux et les grands jeux de données d’entraînement nécessitent un stockage long terme. Les bandes LTO-10 offrent l’avantage de condenser ces archives dans un espace réduit. Elles sont déjà adoptées dans les supercalculateurs et les instituts scientifiques (météo, astrophysique, pharmacie, etc.) pour stocker des résultats expérimentaux et des simulations.
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Conservation réglementaire (WORM). De nombreux secteurs (finance, santé, médias, administrations) doivent conserver des données inaltérables pendant plusieurs années ou décennies (SEC 17a-4, HIPAA, etc.). Le format LTO prend en charge le mode WORM (Write Once, Read Many), garantissant qu’une fois écrite, la bande ne peut plus être réécrite ou effacée. Les archives bancaires, documents légaux ou enregistrements d’entreprise peuvent ainsi être stockés sur bande pour répondre aux obligations de conformité.
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Tier “froid” pour fournisseurs Cloud et hyperscalers. Même chez les géants du cloud, les tiers d’archivage reposent souvent sur des solutions physiques. Par exemple, certains fournisseurs étendent leur stockage objet (S3) avec des « cold vaults » basés sur bande ou utilisent du LTO en coulisse. Les entreprises peuvent aussi mettre en place des architectures hybrides : les données récentes restent sur disque ou S3, tandis que les archives anciennes basculent en FIFO vers des librairies LTO. Cet usage mutualise les avantages de la bande (coût/TB) tout en restant compatible avec les workflows cloud (via des gateways ou LTFS).
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Sauvegarde longue durée et secours HPC. Les centres de calcul haute performance intègrent depuis longtemps les bandes LTO dans leur stratégie de sauvegarde. LTO-10 vient renforcer ces infrastructures de disques par un niveau de stockage supplémentaire pour les sauvegardes quotidiennes (locales et hors site). Les librairies robotisées peuvent ainsi décharger les données périodiquement sur bande, permettant de conserver des historiques de sauvegarde sur plusieurs années à moindre coût.
Impacts sur l’architecture et la gestion du stockage
L’arrivée des bandes LTO-10 redessine l’architecture de stockage des entreprises à plusieurs niveaux. D’une part, elles confirment la tendance de hiérarchisation (storage tiering) : les données « chaudes » et à accès fréquent restent sur SSD/disques rapides, tandis que le stockage à froid migrera massivement vers de l’archivage sur bande pour optimiser le TCO. Le calcul total du coût de possession (TCO) pour des volumes de l’ordre du pétaoctet montre un avantage significatif de la bande par rapport aux disques et services cloud. Fujifilm rappelle qu’au-delà d’un certain seuil de données (>10 PB), la bande devient nettement plus économique en coûts d’acquisition et de maintenance.

D’autre part, l’automatisation dans les librairies (bibliothèques à ruban) est cruciale. LTO-10 s’intègre dans les systèmes existants (HPE StoreEver, IBM TS4500/TS1160, Quantum Scalar, SpectraLogic TFinity, etc.). Les entreprises peuvent effectuer des migrations de médias « à chaud » sans recréer de drive, car les 40 To LTO-10 sont compatibles avec les lecteurs prévus pour les 30 To. Les logiciels de gestion d’archivage (LTFS, catalogues de médias) facilitent l’indexation des bandes et la restauration des données. L’accessibilité physique (chargement du bandeau et positionnement) induit certes une latence élevée (quelques dizaines de secondes à minutes pour un accès), mais cela reste acceptable pour les workflows asynchrones d’archivage ou de backup.
Enfin, l’intégration avec les écosystèmes existants est assurée via les standards LTO : les cartouches LTO-10 supportent LTFS (fichiers embarqués dans le bandeau) pour accès simplifié, le chiffrement matériel AES-256, et l’infrastructure objet au sein des clouds compatibles S3 ou compatibles (via connecteurs d’archivage). Toutes ces qualités font que LTO-10 peut être piloté comme une extension de stockage objet froid dans les environnements « cloud-like », tout en restant local pour des raisons de sécurité et d’efficacité.
Écosystème LTO et perspectives d’évolution
Le format LTO est un standard ouvert promu par Hewlett Packard Enterprise, IBM et Quantum. Fujifilm et Sony sont les principaux fabricants de médias magnétiques LTO, tandis que les lecteurs et librairies sont déployés par HPE, IBM, Quantum, SpectraLogic, etc. Le segment bande reste dynamique : les livraisons d’unités ont crû de plus de 10 % par an depuis 2020, portées par la croissance des besoins IA et archivage « cold ».
La feuille de route LTO a déjà été étendue au-delà de la génération 10. Les estimations courantes tablent sur des capacités encore doublées pour LTO-11 et LTO-12, par exemple environ 72 To natifs (180 To compressés) pour LTO-11 et 144 To (360 compressés) pour LTO-12. Récemment, le consortium LTO a d’ailleurs revu cette feuille de route pour se fixer un objectif de 913 To par cartouche à la génération 14. Selon ces prévisions, LTO-11 devrait sortir aux alentours de 2027, puis LTO-12 vers 2029, repoussant sans cesse le « seuil du pétaoctet ».
Au total, la technologie LTO s’inscrit comme un vecteur majeur de stockage à long terme : son format évolue pour les très grands volumes (exascale), avec des innovations comme la ferrite de strontium et le film Aramid qui repoussent les limites. D’ici LTO-12, on s’attend donc à des capacités natives atteignant plusieurs dizaines de téraoctets et des performances en lecture/écriture toujours adaptées aux environnements professionnels. Les acteurs historiques du marché (Fujifilm, IBM, HPE, Sony, Quantum) continueront de soutenir cette roadmap, garantissant la pérennité des investissements LTO. Ainsi, même avec l’essor du cloud et des nouvelles technologies de stockage, les bandes magnétiques restent une solution fiable, durable et économique – un pilier pour l’archivage de données à l’ère du Data Center et de l’IA.
Sources : lto.org totaldatamigration.com